Au bout des saisons des pas inutiles

Escorté de l’immense migration d’ailes chargées de larmes,
Cueillies sur les passées amères des nuits de silence
Où les printemps se givrent parfois d’amours mortes
Et la plaine de l’aube cendre les débris de joies éparses,
J’arrive ce soir vêtu des horizons déchirés de l’absence
Au bout des saisons si longues de pas inutiles,
Perdus dans le chant persistant du solstice des brumes
Où fuient encore les voleurs de sourires et d’eaux claires,
Visages furtifs et lâches au butin de blessures,
Vains piverts qui ricanent dans les bois de l’amour mon amer…

Sur le lit sans fin du couchant qui fleure l’enfant solitaire
Où les oiseaux quittent leur nid pour migrer là-bas vers le songe,
La nuit chante son vaste thrène de lucioles au jour qui se meurt…

Devant la porte de l’inconnu aux confins des paroles,
Ce soir je m’assois près d’un espoir au bivouac des espérances
Qui voient sans voir les chemins infinis du possible
Où l’amour entend le doux bruit des pétales du songe
Tomber au gré du vent sur la lumière du silence…

Autour du feu ravivé de branches tombées de l’oubli
Où se consume l’éternité des nuits passées à attendre
Et l’espoir se détresse et s’exalte à l’approche de l’aube,
J’entends le vent ce soir vanner les ruches et les nuages
Appel du champ des clartés où l’inconnu va s’étendre…

Sous la paupière fardée d’un horizon blessé de mensonges
L’amour se désaltère ce soir de lunes d’eau fruitées d’immense
Et douces et tendres me viennent les visions de la voix du songe…

” A l’aube tu franchiras l’invisible à la porte des basaltes
Scellée de nuits putrides et chacals affamés d’amours mortes
Et nu des charmes de l’aurore qui perfide retient les passants,
Tu t’en iras à la croisée mouvante des avoines et des blés
Sous l’arbre inexploré de l’inconnu seigneur du grand fleuve
Où descend le radeau du désir et paisible dérive le temps…

Son nom te dira les chevauchées éperdues de la pleine lune
Serrée à la crinière infinie des herbes lactées d’étoiles,
Emues de galops apaisants de galaxies et chevaux sauvages
Qui s’aiment au vent du songe dans les steppes trempées de couchants
Où avance si lente la cantilène des jours et saisons,
Hennissement de l’univers qui fuit sans fin son ultime spirale…

A l’ombre nue de ses flancs halés de sortilèges et d’oracles
Où dort le printemps sur sa hampe mûre de silences,
Avec l’or et l’encens tu poseras la rose et le renard
Apprivoisés dans la clairière timide des aveux de l’amour
Qui réinvente à l’espoir ses mythes et légendes au fond de ton regard…

Alors pour toi il ouvrira ses branches jusqu’à l’aire des orages
Où veille le sacre qui se délecte de rosées et de cobalt
Et dans tes mains offertes il mettra l’éclair du vent jailli dans les blés,
Prélude aux tendresses d’une symphonie ravie au chant des rivages
Qui berce les ébats des arènes étendues au gré des marées…

Sur les lis d’eau de ses rives ouvertes, ancrées au val de ses hanches
Où coule la mémoire du sang venue de mers et pluies antiques
Qui rythme la houle du désir réjouie d’envols écarlates,
Tu dénoueras ta tunique tissée d’herbes fauchées à l’aube
Où s’endort le soleil de l’été assouvi de foins et de sèves
Et laisseras le vent semer sur tes lèvres un chant de cigales,
Allumer dans tes yeux un soir de lucioles écloses des luzernes
Pour remplir de chansons et de lampes les longs hivers du silence,
Interminables solitudes des nuits aux senteurs de feuilles mortes
Où l’amour se meurt transi d’habitudes et d’inutiles espérances…

Alors pour toi il jouera de sa flûte mûrie par le songe
Les traversées fragiles du miroir terni d’aurores insipides,
Horizons d’ornières aux printemps taris d’élans et d’orages,
Et vous irez ensemble vers l’île inconnue du grand fleuve
Où s’éploie le sourire d’un galop léger de blanches licornes
Sous l’ogive du désir éblouie d’oiseaux, d’épis et de ruches
Qui embrasent le vitrail de l’amour où ivre s’apaise l’immense…

A l’équinoxe des fleurs écloses et des mains tendues de vos silences,
Quand l’horizon essaimera des enclos éphémères de l’aurore
Qui jalouse se farde de roses devant le miroir sans visages
Pour séduire l’infini et l’étouffer d’un foulard de paroles
Derrière l’imposture de ses murs de boue, de rails et de masques,
Tu briseras enfin les lierres de son arbre exploré de tes caresses
Dans la tiède étendue du matin aux transparences d’herbes toutes neuves,
Avant de porter à tes lèvres le coyer suspendu à ses branches
Et boire le moût de notes haletantes d’écume
Où l’amour murmure à ton coeur sa plénitude enivrée de présence…

Alors pour rafraîchir la soif dressée dans vos regards qui s’exaltent,
Il sortira des genêts éclos de l’orage le doux solen de tes rives,
Talisman fragile d’un mystère au goût de mer et de songe
Où s’est blotti le poème océan qui incante les saisons sur tes lèvres
Et dans l’île échauffée de soleils et de lave, encensoir de son fleuve,
Il brûlera les résines des soirs d’été qui coulent de son arbre,
Des brassées d’arcs-en-ciel glanés au bord de tes matins aux fruits de lune
Où s’imprègnent d’éternité les restes d’amour fertiles en silences…

Après un festin d’oiseaux de mer et d’orages dans les champs du visible
Où s’égrènent les épis du couchant sur les blés mûrs de promesses,
Tièdes rosées du désir que l’amour délivre de l’éphémère,
Tu herberas ton coeur apaisé sur la grève où se fanent les aurores
Pour blanchir peu à peu de leurs cendres le tourment lové dans tes songes,
Fleurs délicates et craintives qui n’osent s’ouvrir à la lumière
De peur que le rire du passé ne revienne les blesser de son ombre…

Alors il te conduira par les sentiers piégés de feuilles mortes
A la clairière du souvenir au regard de coquelicots exsangues
Brûler les dernières icônes noircies de refus et fenêtres closes
Et près des sources de l’oubli qui emporte les regrets et les nuages,
Il s’assiéra avec le vent et la pleine lune laver tes blessures
Où se cachent encore des éclats de songes et fragments d’étoiles
Brisés dans tes yeux alors que le soleil s’initiait au désir sur ton visage…

De ses mains émues de fruits mûrs effleurés sur tes rives plantées de vagues
il oindra ton espoir de chaudes chrysalides remplies de certitude,
Reposoirs d’horizons nouveaux cueillis au soir du doute dans les ruches de l’orage,
Et sur le corps des saisons qui fleurent encore tes pas inutiles
Il étendra des infules tissées d’envols d’oiseaux et marées de présence,
Avant de vous en aller ensemble là-bas au bout du grand fleuve
Estuaire sans chemin de l’amour où l’infini s’unit à l’immense… ”

Mais devant la porte fermée de l’invisible aux battants de basalte
Je retrouve soudain sur mes lèvres le goût des matins trempés de solitude,
Fruits surs tombés du désir immolé peu à peu dans mes yeux ouverts sur le vide
Où fuit déjà la mémoire des orages sous les arbres morts des saisons inutiles…

Dans ma clairière qui mendie l’infini, l’herbe jaunit au gré des attentes,
Les oracles se taisent suspendus à l’agonie de la lumière blessée de phalènes
Et l’espoir n’a plus de visions pour rallumer le matin de mythes et légendes
Que la pluie étouffe et disperse de ses mains d’ennui dans la boue des ornières…

Derrière l’horizon des paroles ridées de mensonges et de cendres
Où le temps rythmé d’amours mortes va danser au bal de l’habitude
J’entends la lune et le vent vanner au loin des lucioles éteintes
Et les piverts ricaner toujours sans pudeur dans les bois du silence…

Assis près du songe qui se meurt esseulé au bivouac des espérances,
Je regarde les oiseaux revenir égarés à leurs nids d’amertume
De la plaine de l’aube soudain vieillie de viduités et d’absence…

Sous l’arbre sans nom où s’effeuillent les printemps fanés dans ses branches
La rose et le renard, nus de mes songes, pleurent enchaînés au solstice des brumes…

Sur les rives d’un fleuve de sable résonnent les pas de l’inconnu sans visage
Qui s’en va avec l’aurore et ses masques annoncer au jour ma solitude…

Décembre 1988 – mars 1989