Concile des pleines lunes

à Nuwan de Mihintale

Sur les collines de Mihintale la Compassion du fils d’Asoka rencontra sous un manguier le roi.
Les mangues étaient mûres de sérénités.
Le roi abandonna la chasse et devint Compatissant.
Une nuit d’Août sur la colline la plus haute la Galaxie enceinte de lunes-lait-vide-immanence-temps enfanta sans souffrance l’immense lune d’un dagoba blanc.
Les soirs sont doux et compatissants sur les mille huit cent quarante marches qui mènent à l’Eveil du dagoba blanc.
La colline m’appelle.
Cette nuit je suivrai la perahera des pleines lunes convoquées en concile et je monterai m’asseoir autour de la Compassion qui n’a pas de temps.

Dans l’allée des frangipaniers
Le soleil fleurait le désir,
Le soir
Encore jeune
Assis près du midi
Attendait
Devant l’escalier des pleines lunes
Mes pas pour l’infini.
D’une branche
Si blanche
Timide
Tu as cueilli une fleur
Encore vierge
Compatissante
Et tu en as fait une bague
Pour mes doigts à caresses
Hantés d’impatience
De tendresse.
Au-dessus des brûlis du ciel
Je l’ai portée a mon oreille
Avec la joie de tes yeux qui entraient dans mon âme
Et je l’ai entendue
Sensuelle
Chanter son ivresse.

La colline m’appelle.
La-haut il y a des dieux qui demeurent dans les arbres. Ils ont soif d’encens-beurre-huile-sperme de mers-envols de hérons blancs et cormorans-miel couleur de neige au couchant-lampes qui dansent au bord des bassins d’eau verte.
Cette nuit je suivrai la perahera des pleines lunes convoquées autour de la Compassion qui sait dire sans lèvres les silences-présence-émotions.
Les lointains seront heureux de se perdre dans l’immense douceur des gestes.

Sur l’escalier
Pieds nus
Priants
Sans boire
Nous avons donné la main au désir
Au vent frais
Et avons mis des feuilles de menthe
Sur les lèvres du soir.
Tu avais les yeux remplis de lacs
lles-dagobas-collines
Silence
Promesses de Compassion
De délivrance.
Les flamboyants coloraient de matin
Les pétales ouverts de l’espoir
Les ailes des faucons
Qui annonçaient
Au-dessus de l’ innocence
Le Cercle complet
L’Harmonie ultime
Compatissante
Mûris sur les dernières marches
Avant l’envol pour la lumière éteinte
La vie sans naissance.

Tout en haut de la colline sans saisons il y a des raies a l’affût dans les eaux-nuages. Elles guettent le désir.
La mousson a donné l’alerte et les a chassées hors des jours de ses averses.
La Galaxie compatissante rassemble-compte les nuages et les enferme dans la cage aux espoirs : ceux qui n’en finissent jamais d’attendre. Ils s’en iront demain à l’aube annoncer à l’impermanence de l’horizon que le Tout est silence.
Autour de l’immense lune du dagoba blanc la Compassion accueille déjà les pleines lunes des plaines sans fin qui avancent nefs de songes derrière la nuit parée de la blancheur du linceul-temps. Là-bas courent depuis toujours les étés du désir-l’agonie des automnes de l’âme-les hivers de l’oubli aux cheminées éteintes-la vie si tendre et chaude des printemps qui pleurent de joie au pied d’amours qui chantent.

Assis
Ensemble
Sur la marche du désir
Ivres de frangipaniers
Je poserai sur tes genoux
L’immense lune de mon enfance
Celle que j’ai délivrée
Si souvent
Enfant
Des branches du poirier
Et qui a failli se noyer
Dans les fossés
Quand elle voulait
De trop près
S’y mirer
Et poursuivre
Dans les iris sauvages
Les brochets.
C’est la lune qui chantait toujours avec les noctules
Les hulottes
Dans les trèfles
Les vignes
Les maïs
Dans ces étendues si calmes de mes étés.
Combien de fois je l’ai attrapée
Pour en faire la lampe
De mes prières
De mon infini
De l’insoutenable chemin
Qui continue à mourir de soif
Sur mes lèvres
Où sèchent les syllabes qui refusent le fini.

En bas dans l’allée les frangipaniers s’offrent des fleurs de soir-parlent d’amour-s’aiment sur les pas laissés par nos songes et le désir de savoir.
Les lunes avancent-arrivent-s’assoient autour du dagoba.
La nuit descendue boire les rosées blanches tombe ivre d’haleines sous les paupières du silence.
Les frangipaniers immobiles-insouciants-hors la mort ne connaîtront jamais les nudités obligées de mes hivers-la peur d’une gelée tardive au printemps-les pétales imprudents sous le givre des brouillards interminables de 1a plaine qui vit-meurt-revit en attendant que la Compassion déchire la toile si épaisse où l’âme lutte-s’affaire-s’abandonne-se perd.
Les lunes avancent-arrivent-s’assoient.
Au sommet du dagoba la Compassion les compte-regarde-accueille les dernières arrivées qui ont fait un long chemin à travers la souffrance aidées par des étoiles compatissantes : lunes des guerres-goulags-Rwandas-Auschwitz et Treblinka.
Au sommet du silence la Compassion parle.

Lune des plaines-mers
Lune des tempêtes-vallées-déserts
Lune des saisons écloses-vents-neige-oiseaux qui veillent
Lune des chemins-sentiers-route qui se perd
Je souris aux mendiants
Qui cheminent
Cherchent
Ne trouvent jamais rien.
Ils sont hors du temps
L’écuelle vide
Et ils vous regardent
Des nuits entières
Pour une réponse
Ecrite sur votre visage
Page de songes
Où tout est possible
Rencontre de soi
Connaissance de l’autre.

Lune des églises
Vêtues de chasubles d’or
Lune des dieux uniques
Lune des dieux multiples
Lune des Livres
Vous avez encore trop de sang sur vos mains
Et la vérité a trop de mépris sur vos lèvres.
Lunes des temples-mosquées-cathédrales
Soyez compatissantes
Ne tuez pas ceux qui s’aiment
Sur l’autel du pauvre
Qui vous regarde
Espère
Ecoute
Et meurt de faim
En buvant vos paroles.

Lune des enfants qui travaillent
Qui n’ont pas le temps d’être enfants
Lune de ceux qui ont faim
Qui ne savent où dormir
Où se reposer
Même un instant
Où mourir
Lune de ceux qui n’ont pas de jour
Lune des solitudes
De ceux qui ont déchiré l’espoir
Et ne savent plus le guérir

Soyez compatissantes
Attentives
Ne comptez pas le temps.
Remplissez leurs nuits de caresses
Soyez mères
Pères
Epouses
Et que votre miséricorde les embrasse
Les étreigne
Et soit tendresse.

Lune de ceux qui pleurent
Lune des méprisés
Lune de ceux qui ont perdu la liberté
Qui se sont trompés
Qui regrettent
Et voudraient être pardonnés
Lune de ceux qui meurent d’aimer
Qui refusent les chemins obligés
Lune aussi de ceux qui aiment par métier
Ceux qui n’ont pu choisir qui aimer
Soyez compatissantes
Pour les perdus
Les égarés
Les blessés
Les mal aimés.
lls sont l’espoir de ma compassion
Et n’oubliez jamais de leur dire :
L’important c’est d’aimer.

Lunes qui n’êtes pas venues
Qui ne viendrez peut-être jamais
Lunes des pâturages de l’argent
De ceux qui croient pouvoir tout acheter
Même d’être intelligent
Lune de ceux qui savent
Lune des infaillibles
Des maîtres du bien et du mal
Qui tuent et laissent mourir
Pour une idée
Pour un principe
Pour dominer le temps
Lune des imbéciles
Qui délirent sur la mort
Les semblants
Et oublient d’être
Et vivre
Si vous m’entendez
Devenez compatissantes
Lavez vos mains
Lavez vos jours
Venez à notre rencontre
Car tout est vain
Sauf l’amour.

Maintenant je me mets à genoux
Devant vous
Lunes d’Auschwitz et Treblinka
Lunes bien-aimées
Lune de la douleur infinie
Où l’agonie n’arrive pas a mourir.
Je viens caresser vos visages
Essuyer vos larmes
Toutes les larmes des yeux du monde
Larmes de partout
De tout temps
Larmes sans couleur
Larmes de sang.
Lunes des chemins sans retour
Des gares du froid
Aux valises de peur
Abandonnées sur les quais
Où le ciel si bas
Tuait
Derrière le brouillard
Sous la neige
Le regard à l’espoir.
Lunes aux cris d’enfants
Sur les rails de la désespérance
Emportés par tous les vents
Jusqu’au bout de la Nuit
Où brûlait le Silence.
Lunes de tous les camps
Soyez compatissantes
Que la mémoire de votre douleur
Soit le champ de l’espérance
Et n’ajoutez jamais à vos cendres
… D’autres cendres.

Soudain la Compassion s’illumine d’Absolu.
Le dagoba se fait lumière.
Les lunes compatissantes prières de la galaxie partent sur 1e sentier de l’amour qui fleurit delà les saisons dans les contrées de l’être.
Elles seront Compassion pour ceux qui ont soif et cherchent.
En descendant les mille huit cent quarante marches de la colline nous nous sommes arrêtés boire dans les bassins d’eau verte.
La bague de pétales blancs n’avait pas fini de chanter à mon doigt son ivresse.

Mars 1998


MIHINTALE
: montagne sacrée, près de l’ancienne capitale ANURADHAPURA, au nord du Srilanka, où le fils de l’empereur indien ASOKA, rencontra et convertit au bouddhisme le roi TISSA en 247 av. J.-C.

DAGOBA: construction bouddhique hémisphérique destinée à abriter une relique de Bouddha.

PERAHERA: procession