Courir vers les arbres

Dans les champs 
Labourés 
En repos 
– Comment pourrais-je les oublier ? –
Les corbeaux sont absents. 
Il y a seulement le silence 
L’écho du bonheur
Et le matin qui avance.

A genoux
Ému 
Peut-être heureux 
La terre
Mouvante
Mère de vérité
De certitudes 
– Mais est-elle trop sûre
Trop présente ? – 
M’attire
M’entoure 
Me donne des ailes
– Mais pourquoi les éclame-t-elle ? – 
M’enivre de rails 
Me console
M’enchaîne 
Me blesse de son odeur de gare 
Avant de me plonger
Sans regrets
Dans ses passagers qui savent
D’où suinte le bien
Si lourd 
Avec le mal
Autour du regard.

Dans les champs
Labourés
En espoir
Couverts de pétales de pruniers
– Comment pourrais-je oublier ce blanc
Si léger ? –
Les corbeaux sont absents.
Il y a seulement le silence
L’écho du bonheur
Et le matin qui avance.

La terre est douce
Tiède
Et sirène
Dans mes mains de soif
Sur ses cuisses
Si lisses
Qui appellent les caresses
Dans la lumière de mon chant
Si jeune
Si libre
Appris des oiseaux
Qui bondissent vers le jour
Du nid du désir
Au coeur de mon arbre.

Dans les champs
Semés
Vivants
De blés et luzernes
– Comment pourrais-je oublier
Toute cette eau en herbe ? –
Les corbeaux sont absents.
Il y a seulement le silence
L’écho du bonheur
Et le matin qui avance.

La terre
Jalouse
Inquiète
– Mais de quoi a-t-elle peur ?
Me prend sur ses genoux
Me serre dans ses bras
Veut être chaleur
Chemin de mes pas.
Elle sent
Elle voit
Insistant
Sur moi
Le regard du lointain
Qui veille
M’épie
M’appelle
Au bout des rives
Delà les arbres
Où m’a conduit
Si souvent
La soif d’ailleurs
Désir de l’autre
Chemin-visage
Joie de ma course
Tendresse d’orages.

Dans les champs
Enceints de lucioles et d’été
Déjà mûrs de nids et de vent 
– Comment pourrais-je oublier 
La voix de l’or que parlent les blés ?
Les corbeaux sont absents.
Il y a seulement le silence
L’écho du bonheur
Et le matin qui avance.

Ne regarde pas le lointain
– Disait la terre à mon enfance –
N’essaie pas de le traverser
Ne va même pas jusqu’aux arbres
L’infini t’éblouirait
Tu ne trouverais plus mon passage
Le chemin pour rentrer.
Aux confins de mon regard
Après le pont des certitudes
Il y a les risques de l’immense
Et les ports sans phares
Les mers ensablées
Les guerres sans repères
Et la douleur… d’aimer.
Sur le fleuve qui charrie les couchants
J’entends encore
– Malgré le temps –
Les silences du Roi aveugle
Et les pleurs des choéphores.
Ne va pas jusqu’aux arbres.
Tu n’as jamais appris à tuer.
Ils te feront courir
La main tendue
Pour donner à l’espoir
Le mépris d’un sourire.
Ne regarde pas le lointain
N’essaie pas de le traverser
Tu ne trouverais plus mon passage
Le chemin pour rentrer.

Dans les champs
Moissonnés
Nus d’attentes
Livrés à mon chant
– Comment pourrais-je oublier
La pleine lune et l’enfant
Qui glanaient le soir avec le vent ? –
Les corbeaux sont absents.
Il y a seulement le silence
L’écho du bonheur
Et le matin qui avance.

Je suis toujours heureux de partir
Courir vers les arbres
Me perdre dans le lointain
Son silence
Son matin
Ses ports peuplés de rencontres
Où tout peut arriver
Même l’impossible
Même l’amour
Fou
Mouvant
Qui grandit dans les songes.
Delà le vide des jours immobiles
Le bonheur est à ma porte
Toujours ouverte
Pour être attendu et attendre.
Qu’importe la douleur
Si au bout il y a ton visage
Ton regard
Son amour
Pour me donner l’existence.
Même les larmes peuvent être douces
Dans le désert de l’habitude
Quand il n’y a plus rien à attendre.
Si tu rentres avec moi
Je te montrerai les champs de mon enfance.
Pour notre désir
Le couchant incendiera les genêts
La nuit nous parlera d’amour
Sur un drap de galaxies
Et l’aube brûlera la sagesse
La rive inutile
Fanée.

Dans les champs
Labourés
Qui fleurent encore les blés
Ému
A genoux
Avec toi
Je suis heureux d’être revenu
Heureux de repartir.
Les corbeaux sont toujours absents.
Nous repartirons ensemble
L’orage dans le sang
Avec notre bonheur
Le silence
Le lointain
Et le matin qui s’en va.

Février 1995