Cri

au Peuple du Viêtnam
avec une amitié sans 17° parallèle

Ton cri
Quelqu’un l’a-t-il entendu ?
Cri étouffé
Cri éperdu
Cri du ventre
Eventré
Cri nu .
Ils t’ont arraché la voix .
Elle pend de tes lèvres
Ses cordes cassées
Où le son s’est perdu .
Le Dragon est blessé
Les cerfs-volants déchirés
Les rizières sont en sang
Et le riz qui séchait sur les aires du songe
Est emporté dans les branches du vent
Où se prennent les étoiles éclatées
Les désirs interrompus
Refoulés .
La peur court
Au-dessus des arbres tués .
Au loin roulis de douleur
Sans nom
Le long des rivières aux pleurs
Perdues
Lacérées .

Le typhon
Oeil de l’ouest
Ouest de mort
Avance
Avec ses oiseaux de proie
Ses oeufs d’épouvante
Et se repaît de terre et d’aréquiers
Sur les routes qui hurlent
Brûlées
Qui ne veulent pas mourir
Couvertes d’ailes
D’acier
De tas de regards
De sourires
Déchiquetés .
La haine
Eparse
Devient orage
Tonnerre
Pluie
Essence
Napalm
Et explose
Hémorragie d’horreurs
De mensonges
Libertés trompées
Sur un lit de brûlis
-Ah qu’ils sont sales les deux draps !-
Faux songes
Soirs fauchés
Où s’englue l’infini .

L’amour
Sera-t-il assez fort pour résister au vent
A ses lèvres chargées d’arbres
Branches
Feuilles
Illusions fragiles ?
Sera-t-il plus fort que la pluie
La boue
L’errance du temps
Qui inondent les champs et les chemins
Et les promesses non tenues
Et les jours trop brefs
Et les tendresses sans étreintes
Veuves du plaisir ?

Mes mains se joindront aux vôtres
Elles auront la légèreté de la transparence
Et nous irons panser la mort
La vie
Les blessures de la terre
Si profondes
Avec de tièdes infules
Trempées dans la paix
La joie de nuits d’été
Avec le bleu des montagnes
Et de tendres feuilles de camphriers .
Le soleil enlèvera les mains de son visage
Il n’aura plus peur
Il mûrira les carpes en dragons
Et il les regardera s’envoler avec de nouveaux nuages
Avec nos émotions en désir
En cerfs-volants
En voyage .
Le cri de la mort deviendra vagissement d’espérance .
Elle accouchera de rizières parsemées de buffles
D’enfants aux épuisettes gorgées d’éclairs et arcs-en-ciel
Et près des tombes
Calmes voiliers au vent en prière
Les troupeaux de canards blancs pondront des oeufs bleutés
Âmes de ceux qui s’en vont
Qui sont partis
Sur un chemin retrouvé .

Le silence attend la parole .
Il est assis sur les aires de battage .
Elles sont vides .
L’espace y cherche ses frontières .
La parole reviendra avec le riz
Avec les oiseaux du large
Syllabes de paix
De présence
Ailes de sérénités perdues
Où la mer détruit ses mâts de naufrage .
Alors la terre sera une oreille immense
Où le silence
Bien mûr
Réapprendra à écouter la langue des arbres-montagnes
Les dires tendres des chèvres blanches aux cigales
Au centre des lagons secrets
Amphithéâtres de bateaux qui rentrent
En procession
Après tant de haines inutiles
Sources d’absence
Et sur les vagues de roseaux
Le silence s’en ira
Léger
Avec les mots des rames .

Au bord des lotus
Avec les buffles
Nous respirons l’odeur du riz à peine repiqué
La joie d’être ensemble
La danse des hérons blancs sous les aréquiers .

Le soleil
Apaisé
Regarde les frais lingas sortir des pagnes verts des rizières .

Août-Septembre 1998