De mon regard est sorti un héron blanc

à Alberto

Sur la route de la nuit aux herbes d’ombre, je songe aux étoiles, aux pleines lunes, suspendues au fil du songe, raccourci de l’espoir, là-bas des possibles auquel tu songes.
Qu’importent la route, les ombres, la nuit, si l’on est accoudé au même temps, au même infini.
Très tôt ce matin est sorti de mon regard un héron blanc.
Là-bas y a-t-il des étangs ?
Il s’en est allé très haut sur la désolation sans nom de l’oubli. Les fenêtres du visible n’ont plus de châssis.
Inquiet j’entends courir le désert, grimper-dévaler ses dunes, plonger ivre de sable dans la soif de ses désirs. Je ne voudrais pas que le héron blanc se meure sur son chemin sans pleurs.
Il a disparu sur la ligne ouverte des solitudes où jaillissent inattendues tant de rives. Même les oiseaux et les certitudes y deviennent soudain le point fragile d’un silence qui se brise.
Il y a du sable dans mon regard. J’ai guetté son retour assis sous les heures du midi. Sur mes lèvres dansent encore les renards qui attendent toujours un ami.
Il est revenu avec le vent sur la route si douce du jour qui s’en va. Le soir chantait déjà des airs inconnus au bord des mirages. Ses ailes étaient des éclairs d’un orage tombé quelque part.
Rentré dans mon regard, il m’a parlé de tes yeux, les étangs de là-bas. Il a fait son nid sous l’ogive du désir, au coeur des roseaux où, les nuits profondes, le soleil est guetteur de songes. La fraîcheur verte des eaux si claires est sourire sur tes lèvres.
Demain il s’en ira relever le soleil et couvrira son nid
de tendresses. Si tu rentres avec lui, le désert fleurira de hérons blancs et mon visage de caresses. 

Janvier 1994