Funambule du printemps

à Nicola

La plaine est seule cet hiver.
Les oiseaux ne savent pas où se poser.
Les arbres ont été coupés ces hivers.
L’ombre des chênes et des mûriers
N’est plus qu’une page jaunie d’un été.
Il n’y a plus de feuilles mortes le long des fossés.
Dans les labours semés de trèfle et de blé
L’infini court avec le vert
Sous un vitrail de silence
Où l’oubli
Oublie
De s’oublier.
Au loin un coq déchire le brouillard du soir.
Autour du souvenir rôde l’absence.
La plaine est vraiment seule
A cette heure de l’hiver.

Je t’ai rencontré avec ton violon
Jongleur d’ailes de cobalt et de nuages
Sur le chemin du vent qui traverse les saisons.
Tu m’as ouvert la porte de ton sourire
Et lavé de ma solitude
Tu m’as fait pénétrer jusqu’au fond de ton regard
Où tu gardes l’archet du songe
Les mélodies injouées
Les notes ravies aux clartés de l’espoir
Qui fleurit chaque année
Quelque part
Sur l’aubépine et l’amandier.
Tu as posé ma main sur les cordes du violon
Et la tienne sur mon visage.
Dans la caresse
Suscitée
Offerte
J’ai retrouvé la soif d’orages
La douceur des attentes
Égarées une nuit d’hiver
Si loin de la plaine
Où l’amour pleurait d’absence.

Dans la plaine
Il n’y a plus
Depuis longtemps
Le bouf et la charrue
Guidés par l’enfant.
Mais l’infini s’est mis à courir
Avec nous
Violons et poèmes
Sur les chemins sans rives du vent.
La plaine n’est plus seule cet hiver.
Sur la place où s’endort le brouillard
Espace clos
Sans amers
Je tendrai pour toi ce soir
Funambule du printemps
Une corde de présence
Et tu joueras jusqu’à l’aube la liberté d’être
L’amour de nos songes
Le devenir du temps au-dessus de l’absence.
Assis au bout de l’espoir
Où le désir se fait tournent
Attente du possible
Je chante avec toi le brouillard qui s’en va.
N’arrête pas de jouer.
La lumière de la galaxie
Dessine déjà ton visage
S’arrête sur ton front
Descend sur tes hanches
Se pose avec tendresse
Sur les cordes du violon.
N’arrête pas de jouer.
J’entends le vitrail qui se brise dans les blés.
Le cri du silence
Et le vert de la plaine
Délivrent nos mains
S’appellent sur nos lèvres
Se muent en immense.
Les loriots migrent dans nos veines.
Au loin un coq déchire la clarté du matin.
Regarde !
Le jour
Étend
A sa fenêtre
Le printemps.

Janvier 1993