J’ai vu trébucher la solitude

De chez moi
Derrière les aloès
Au bout des silences
Où le soir s’illumine
Parfois
De tant de promesses
Je vois deux arbres sur la colline…
Leurs branches
N’arrêtent pas de s’étreindre
Devant le fil
Si ténu
De mon regard
– Fragile espérance
Où crie

Avance
Funambule
Sûre d’elle
La solitude…
Depuis longtemps
Je rêve
J’attends
Sa perte
Sa chute
Dans l’aire aux oublis
– Eau morte d’absence –
Où croupit ce vent
Aptère
Sans désirs
Né des larves du temps…

J’ai vêtu les murs
Chez moi
De désirs
Si mûrs
De nuits d’été
Lumière de sourires
De clairs de lune
D’ailes éployées
Sourires de sources
Qui allument les lucioles
Sur les grèves mortes
Des chants passés…
J’y ai suspendu
Les rosées
Les appels de l’aube
Les senteurs nues
Les couleurs apprivoisées
Les soifs des maïs
Les midis égarés
Des champs de jadis…
Je ne voulais pas
Que l’infini
Eût froid
D’obscurité
A son horizon
Muré
En moi
En attendant le jour
Sans parler…

Miroirs aveugles
Muets d’oracles
Murs stupides
Où se farde l’absence
D’espoirs inutiles
Fils de mensonges
Tissés de présences
Vides d’orages
A qui je parle
Souvent
De fièvres
De craintes
De nuit sans visions
Où j’appelle de mes pleurs
Un visage
Ablué
Enfin
De tout masque…
Mais sourds aux songes
Aux larmes
Ne savent pas écouter
N’ont jamais su répondre…

Devant ma porte
Ouverte
En attente
où l’horizon
Brisé
Tisse des ailes aux ombres
Au?dessus des silences
je regarde
Ému
Les deux arbres
Habités par le vent
Descendre vers moi
Sur ce sentier
Aux semis de transparences
La colline du soir…

Dans la pénombre
Si vive
D’agonies
De cris qui se fanent
Sur mes lèvres
Meurtries de soif
De solitude
Qui dansent
Ricanent
Devant les murs sans paroles
Au creux du désir
Vague égarée
Sans voix
Je sens
Je sais
Soudain
Que les arbres sont là
Les arbres enfants
Grandis sur la colline
Venus pour moi
Ce soir
Avec un nuage
Un éclat de lune
Une cage de lucioles
L’éclair d’un orage
Une étoile de résine
-Pour chasser de son encens
Cette odeur d’amours mortes –
Le chant d’un rossignol
Tout en haut d’une nuit d’été
Pour dire
Au vide
Pluvieux
noir
Que l’amour est toujours là
Existe encore
Qu’il est mûr
Prêt de ma main
Suspendu à leurs branches
Aux feuilles si vertes
Si sûres
D’un nouveau demain
Nourri d’infini
D’un moût de présence…
Tout près de mon corps
Icône de mon âme
J’entends
Le soupir de la nuit
Leurs paroles
Tièdes de caresses
Haleines de l’invisible
Tendresses de pétales
Si blanches
Légères
Qui descendent avec le vent
Cacher à mon cour
La peur de l’éphémère…

” Demain tu viendras
Sur la colline
Delà les aloès
Delà les silences
Y semer tes songes
Les saisons du désir
Le plaisir des attentes
Avant que la rosée
Cueillie au matin
Ne coule de nos branches…
Ne crains pas de nous parler
De confier les instants
Eclos du mensonge
Ou d’un songe blessé…
L’ombre
Chère aux mendiants
Nous a appris à écouter
Le vent
A répondre… “

Du fil
Si ténu
Imperceptible
De mon regard
J’ai vu
Trébucher
Soudain
La solitude…

L’oiseau
– Donné par les arbres –
Aux harpes oubliées
Au fond du désir
Caché dans mes branches
Se mit alors à chanter
Déchirant la nuit
Et la haie du silence…

Mars – avril 1990