Là-bas…pourquoi autant de sable

Les blés ne sont pas encore mûrs.
Ils courent toujours si loin dans le regard de l’enfant…
Là-bas où ils deviennent bleus avec le soir, pourquoi le vent remue-t-il soudain autant de sable ?

Les coquelicots n’ont pas encore versé tout le sang des amours tuées au crépuscule.
Les incendies sont toujours mutilés dans les impasses.
Là-bas où ils deviennent couchants et nuages, pourquoi les étangs ont-ils soudain ce calme mort du sable?

Les mûriers ne sont plus dans les champs.
La plaine a l’odeur vide du désert.
Là-bas où ses mains deviennent désir, pourquoi pleut-il soudain des tendresses aux saveurs de sable ?

Il y avait jadis des violettes cachées dans l’herbe jaunie par l’hiver.
Le vent des espoirs inutiles me les a arraché des mains si souvent sur la tombe des printemps.
Etait-ce dans les prés hors du temps de SaintApollinaire ?
Là-bas où le songe devient si vert, pourquoi les lys sauvages se fanent-ils soudain en souvenirs de sable ?

Sur les rebords d’attentes ouvertes, la neige des robiniers est déjà chaude de matins d’été.
Au-dessus des rosées, près de la grande route, un rossignol amoureux ressuscite dans la nuit un jour oublié.
Là-bas où le chant devient caresse, pourquoi la vie n’est-elle soudain qu’un chemin de sable ?

Sur la grève où se donnent rendez-vous les pleines lunes et le silence, je regarde mûrir les blés, la porte des luzernes et les appels de l’été.

Mai 1994