La nuit de Schwarzwald

Dans la chambre aux miroirs d’absence
Où je retrouve
Chaque soir
Sur mes lèvres
Le sourire blessé d’espoirs inutiles
– Amertume bleutée d’avoines et de seigles
Tachées de brumes rouillées de silence –
Me tend sa main
Sans lignes
La nuit de Schwarzwald
Delà l’agonie
Si nue
De la nuit de mes songes
Encore si chaude pourtant du désir
Qui remplit les pénombres des voluptés de l’attente…
Aux premières lueurs d’améthyste
Du jour qui éclate
Frustrée d’envols rentrés d’oiseaux
Trop vides de songes
Elle s’en va
Sous les hauts phallus
Si verts
De l’habitude
S’enivrer des mythes d’un midi grisé d’ombres
Au sabbat stérile des solitudes
Venues de tant de sentiers égarés d’amours mortes
De corps où s’est perdue la mémoire des caresses
D’yeux grands ouverts
Si las de veillées aux regards qui se vident
De lèvres éteintes
Aux sourires inéclos de l’invisible
Là sur les lits clos
Sans aube
Taris de visions et de promesses
Où dorment les plaisirs immobiles
Étendus si près de la mort du songe
Si loin du voyage
Où tout est possible
Quand elle reviendra au crépuscule
Le regard déjà bistré de noctules
Les hanches repues de sèves et de danses
Résines mûries au cour des solitudes
Je couvrirai vite mes miroirs d’absence
D’un foulard de songes
Retrouvés au bord de mon âme
Tout au bout d’un espoir
Grandi à l’ombre des silences
Et mettrai à ma fenêtre la lampe du plaisir
Pour qu’elle en ait peur
Au seuil du corps des présences
Et s’arrête
Devant la beauté
Invitée au festin du désir…
Là je compterai dans l’éclat de tes yeux
– Toi l’enfant des ruches de lune –
Les étoiles tombées de l’arbre des couchants
Et les syllabes de l’amour semées sur tes lèvres
Par le sourire du vent dans les avoines
Où s’est blotti un ciel mouvant
Si clair
Si vide de temps…
De notre chambre aux miroirs de présence
Où vit le jour des instants
Denses d’abeilles
Nous irons émus de l’étreinte du matin
Dans la clairière esseulée du vert immobile
Calme blessure de la nuit de Schwarzwald
Planter un cerisier pour les saisons qui passent
Pour les couleurs en devenir
Au fond des yeux
Au bout des branches
Pour le soleil qui brise les paroles de l’ombre
Au-dessus des sentiers lavés de l’éphémère
Où peuvent courir
A nouveau
L’amour et le songe…

Juillet – août 1990