La table des restes

A Abdelbaki de Moularès

    Je ne viendrai plus à Moularès. Trop de mots vides courent les mirages. Sur les lèvres des promesses se décompose un ciel d’aloès. Les narguilés se brisent soudain dans les yeux des faucons : oasis sans dattiers, sans désert.
    Sur le sable mort tu dresses pour les attentes en voyage la table des restes. Tu les as comptés et recomptés tant de fois sur tes doigts fermés. Tu as muré ta fenêtre. Même tes sourires sont peints sur ses volets.
    Dans la cour, au seuil de ta chambre, la nuit refroidit les désirs et oublie de remplir les verres de la soif. II n’y a plus d’eau dans l’oued.
    Le désert s’en est allé. Il a fui la porte du mensonge. Près d’un puits secret il se lave des lâchetés, de la honte.
    Cachés derrière les dunes de phosphate les chacals
lacèrent la pleine lune. Il y a du sang de cendre autour des chamelles blanches. Elles ont perdu leur chemin. La route aux larmes est si vaste. Aux portes de Moularès, il n’y a plus de matin.
    Le vent me prend par la main et me conduit hors de l’absence. Les oiseaux, les derniers de l’été, les derniers du départ, essaient de chanter le printemps d’une attente.
    Je ne viendrai plus à Moularès. Qu’y ferais-je sans ami, sans désert ?

Octobre 1994