L’autre rive

à Guido

Polis par les pieds nus du temps
Passé par là
Tant de fois
On ne sait plus depuis quand
Les galets et le sable
Obsidienne et basalte
Demeurent sur la grève sans port
Mêlés aux soifs de toujours
Inapaisées
Où mon âme se fait corps.
La nuit y tombe
Chaque soir
Avec les éperviers
Aux ailes trop lourdes
Attentes inutiles
Espoirs vêtus d’ombre
Étendus à des promesses
Trop courtes.
Les passeurs sont morts sur les deux rives.
Es-tu derrière le même silence ?
Repus de lunes mortes
Les chacals déchirent au loin la solitude.
Dans le noir
Il y a des relents de routes barrées
D’impasses.
Je sens tout près les rosées amères de l’asphalte.

A la frange sonore du matin
Les vanneaux et les hérons sont déjà dans les champs.
Je te regarde courir
Immobile
Après les nuages
Qui passent très haut
Invisibles
Delà les pensées secrètes
Du vide
En attente de plénitude
Cet amour qui tressaille
Déjà ivre
Si loin de l’habitude
Dans les mains du songe
Les seules mains qui caressent
Sans blesser
Les vagues
Si douces
Si libres
De nos corps.

Le miroir du présent
Où l’instant devient mémoire
S’est brisé
Devant nous
À la table d’un soir.
Il y a un nouveau sentier
Caché dans le silence
Qui mène
Timide
Aux rives du savoir.
Un jeune enfant
Son petit bateau en papier à la main
S’en va vers l’eau.
Qui est-il ?
L’un de nous ?
Nous deux ensemble ?
Qu’importe
Il s’en va…
Sur l’autre rive
Au carrefour du temps
Parmi les chemins de toujours
Il y en a un très étroit
Si peu exploré
Le chemin du vrai savoir
Le savoir de l’amour.
Mais le petit bateau en papier
Au premier tournant
Un peu plus bas
A soudain sombré
Et… le passeur n’est plus là.

Léger du blanc des cerisiers en fleur
Je me suis mis alors à courir
Courir
Après les cormorans
Dans tes yeux
Où ton regard m’a aimé
Après les albatros
Poètes des nuages
Sur la tendresse de tes lèvres
De ton visage
Courir dans la plaine
Corps de l’immense
Avec les étoiles filantes
Cerfs-volants
Tenus par les mains émues
De ceux qui s’aiment.

Cette nuit
J’ai cueilli
Des branches fleuries de pêcher.
Viens
Le radeau est terminé.
Ne crains pas le courant
Il suffit d’un coup de rames
Si donné par nos mains ensemble.
Viens
L’autre rive nous attend.

Mars 1993