Le nat des peurs délicieuses

Aux enfants birmans

Une voile au loin
Delà les tamariniers.
D’où vient-elle ?
Quelle cargaison est dans ses flancs ?
Je ne sais pas où elle va.
L’Irrawaddy sourit à mes pensées
A mon regard.
Le soleil m’attend dans la plaine
Il s’est assis dans les chaumes de sésame.
Il discute avec le vent qui n’a plus d’ailes.
C’est la saison sèche
Sans haleine
Où l’on respire si mal.
Il m’annonce une pluie d’étoiles.
Il y aura des tonnerres de lune
Des galops de songes à travers le temps.
Le soleil surveille ses troupeaux de pagodes.
Ce soir il les traira une à une
Avec les bergers de l’immense
Aux cantilènes d’enfant.
Dans les seaux du soir
Je boirai du lait blanc
Du lait d’or
Du lait épais de briques incendiées par le couchant.
Après le crépuscule
Je n’aurai pas peur d’errer dans la plaine.
Je ne suis pas un enfant birman.
Le peuple d’ombres
M’escortera dans mes questions sans réponse
Et je caresserai la nuit
Et les chèvres-pagodes-blanches
Endormies sous les banians
Dans la pénombre des promesses
Qui crient leurs errances
En attendant les vagues de l’aube
Si proche du couchant.
Au-delà du lac aux jardins mobiles
Je perdrai
Enfin
L’âme de mon ombre
Au milieu d’un troupeau de pagodes égarées
Apeurées
Serrées les unes contre les autres
Grappes de raisin de pierre
Aux bêlements éperdus
Détresse passionnée
Que le soleil et les arbres
Compatissants
Ne cessent de consoler.
Je cours dans tout sens
Assoiffé de leur vin
Je les prends dans mes bras
Sur les lèvres de mes attentes
J’en remplis mon regard
Et je deviens nat aux peurs délicieuses
Âme de l’ombre
Lumière de l’âme
Où je me retrouve plus riche que le songe.
Alors les enfants birmans
Sans peur
Sortiront les nuits de pleine lune
M’appelleront du haut des pagodes
Et joueront avec mon ombre
En criant
Joyeux
Mon nom.

Octobre 2000