Le voyage a été long au bord du silence

Le voyage a été long au bord du silence,
talus de soifs, de semblants et de lunes brisées,
opacité monotone de lassitudes errantes
vers tes yeux infinis chargés de rivages
où mes songes s’enivraient aux sources vierges du temps
qui estompait près des chaumes pâlis de l’enfance
les sombres basaltes des nuits habitées d’aloès et de cages
pour m’initier aux matins secrets aux lèvres d’écume,
saison sacrée de gestes d’amour ravis à l’immense :
chemins inexplorés de nos êtres tendus au naufrage
d’ailes apaisées des sous-bois du désir
hantés de lucioles, de narcisses et d’étoiles filantes…
Nous nous sommes étendus à l’ombre des orages
sur le vaste lit des horizons ouverts de l’été,
plaine embrasée de chants lointains, de cailles et de songes,
écouter le vent du désir qui courait dans les blés
fouir la lumière blottie sous la bure de l’ombre
de ses mains d’herbes, d’abeilles et d’oiseaux en délire
jusqu’aux fleurs de l’oubli aux tièdes senteurs de nuages :
pluie nacrée d’épis et de miroirs sur les rives des couchants,
envol de hérons empourprés de coquelicots en dérive
qui emportaient vers le soir les rosées éphémères de l’extase…
Tes horizons éperdus se posaient en syllabes de caresses
sur la grève de l’ombre boire le sourire jailli de ma plaine :
halètement de lumière et de songes au creux de l’orage
qui incendiait les nids et les blés étourdis de tendresse,
sanctuaires d’oiseaux nourris de pourpre, d’éclairs et d’aubes légères,
ivresse mouvante de visages, d’améthystes et de hanches
au rythme des solstices du songe et des lys écarlates
fleuris sur les rives des marées écloses du désir de se perdre
dans les profondeurs sans amers de l’invisible infini de nos soifs…
Etreintes de tes matins clairs fruités d’oiseaux et d’amandes vertes
avec le soleil étendu sur les lèvres du midi de mes sources :
sentiers de miroirs hantés de sortilèges insaisissables
où migrait le moût des horizons vêtus de ruches et d’herbes sombres
pour la traversée lumineuse de nos champs cadencés de galops et de vagues,
ivre chevauchée d’aurores et de lave sur les versants de l’ineffable
qui charriait sur nos hanches l’amour et l’oubli au bout du voyage…
Saillie du vent sur les blés aèdes de silences chargés de nos songes
qui s’en allaient délivrer le désir dressé dans les mains des orages,
palpitant d’ailes et de cobalt et d’obsidienne incandescente,
dans les nids des couchants suspendus aux clartés sans fin des miroirs immobiles
d’où s’effeuillait le chant des loriots en arcs-en-ciel et galaxies lactescentes
danse de lucioles dans les talus et les chaumes de nos caresses,
sourire de l’été assoupi dans nos yeux enivrés d’oiseaux et d’enfances,
libre étendue d’horizons apaisés de miel et de vin versés sur nos lèvres
à l’orée du soir si doux qui nous parlait des tendresses du silence…
Demain quand l’automne pâlira de soies et de brumes les senteurs de la plaine,
tes mains arrêteront sur le visage du désir la lumière qui s’en va,
le désert qui s’étale au fond de la nuit où s’éploient les oiseaux de passage
feuilles d’étoiles et de songes dans les aires fanées des saisons qui s’égrènent,
rallumées aux fenêtres du silence par l’angélus qui ramène tes pas…
Avec le printemps l’aube partira glaner les horizons brisés par l’hiver
et nous irons ensemble dénicher les faucons sur le mont des orages,
dans les blés si tendres du val de l’oubli où le désir mûrit le vent de l’été
qui ouvrira les sentiers de nos corps à la lumière d’un autre voyage…
Alors sous la neige des miroirs qui se fanent l’amour fleurira le ciel de tendresses
et ton sourire sera une douce pluie d’été
pour le désir du couchant
pour les paroles de la nuit
pour les caresses de l’aube
pour la fleur née du quartz du midi…
Et quand la lune viendra se briser au seuil de ma porte
où brûle le cristal d’un espoir à l’écoute de l’ombre
qui bruit d’ailes enivrées de soifs et de blés d’un visage qui avance
sur la grève inexplorée où afflue le mystère des rencontres,
quand le songe se penchera sur le fleuve des solitudes
où se désaltère sans fin l’éternité de ma course,
étendus dans nos sourires ébénés de nuits si brèves et si longues,
nous parlerons ensemble les silences du vent qui se repose,
les songes des oiseaux qui s’endorment dans les arbres fleuris d’éclats de lune,
les tièdes rosées des chaumes ensorcelés de soleils lointains qui s’estompent
dans nos vals apaisés aux sources du songe où danse l’aurore liserée de nos mauves…
Alors tu guideras ma main vers la dernière feuille
la feuille la plus haute
feuille de lune
feuille d’espoir
oubliée par le vent
dans les branches du soir…

Décémbre 1986