Lettre à un ami du désert

aux amis de Nefta

Les oiseaux des orages sont déjà au chevet de l’été. Les feuilles affamées des érables dévorent le dernier soleil avant de tomber. Les oiseaux du voyage préparent leur départ sans s’occuper du silence qu’ils vont me laisser.
Quand j’ai vu les éclairs dans les aliziers, j’ai su que les loriots seraient demain loin de ma vallée. Ils ont éclairé de leur chant tant de matins suspendus aux pétales et au sang des cerisiers.
Ce soir j’irai les rencontrer. Je raconterai à leur agitation des histoires d’amitiés, si souvent blessées-guéries-blessées, pour qu’ils s’endorment enfin apaisés. La route sera longue, sans amers, pour ceux qui n’ont jamais connu ni départs ni arrivées. Je leur demanderai de faire un détour par ton interminable saison de sable pour lui offrir l’automne vêtu de printemps déchirés.
Pour toi je leur donnerai une brassée de trembles, de chênes, de châtaigniers où j’ai écrit tant d’amour à l’encre d’un désir immense d’éternité. J’y ajouterai une haie de collines, boisées de couleurs intenses aux nuances variées d’espoirs, de doutes, de feuilles mortes, mouillées.
Dans une boîte de brumes transparentes, bleutées de certitudes, je te mettrai une fiole des senteurs si fortes de moûts et de rosées exsudées de nuits si longues de présence espérée.
S’ils te parlent d’arbres nus, de nids vides, sache que c’est le vent qui le leur a suggéré pour que tu te souviennes qu’il y a des solitudes humides de mystère, de sous-bois, désolées.
Ils auront aussi une surprise au nom de toute la vallée : une ruche pleine de miel nouveau et d’un essaim d’abeilles apprivoisées. Tu leur apprendras à cueillir le premier soleil dans les roses de sable où le désir est si précieux et si rare la rosée.
Alors du haut des dattiers n’oublie pas de récompenser l’or des loriots avec un sourire et des grappes de dattes, bien mûres, dorées.
Le vent viendra beaucoup plus tard pour te parler de la plaine déjà labourée pour l’amour et les blés. Sois heureux. Pour toi sa terre est enceinte de printemps et d’étés.

26 Octobre 1993