Liberté – Ophélie

aux marchands de souvenirs de Hué

Ils arrivent .
Qui les a prévenus ?
Ils arrivent .
Quelqu’un les a vus
Quelqu’un les a entendus .
Ils arrivent .
La nouvelle court sur les rives .
Le vent prévient les marchands à la dérive .
Ils arrivent .
Envol d’oiseaux apeurés
Marchands de souvenirs en fuite .
Le désarroi
Crie son désarroi sur le pont de la Cité Interdite .
Ils arrivent .
Ils sont les rapaces de la nuit
Les policiers-tortues
Sans hérons
Sans pitié
Rampant sur les rives .
Il y a des matraques dans leurs mains
Leurs lèvres aiguisent des poignards
Et leurs regards aiguisent des sourires .
Sourires du pouvoir
Matraques en sourires .
Le soleil en colère s’est mis à courir .
Ils l’ont frappé
Eclamé .
Ayez pitié .
Il ne peut plus fuir .
Je l’ai vu tomber
S’écraser
Sur les dalles blanches des cours intérieures
Cours innocentes
Ceintes de murs
Murs sans fin
A l’infini du souvenir .
Dans ce passé
Mort
L’ombre pourra-t-elle revivre
Et le soleil ressusciter
Et rire ?
Une marchande a été arrêtée .
Ses souvenirs confisqués .
Que lui restera-t-il sur les dalles de son passé ?
Elle crie
Implore
Pleure
Ayez pitié .
Dans les yeux des tortues
Sans hérons
Les matraques sont levées .
Elle est à genoux
Elle serre les bottes bien cirées
Elle les embrasse .
Ayez pitié .
Les bottes sont noires
Bottes du pouvoir .
Ayez pitié .
La liberté-Ophélie
Passe dans mes yeux
Avec le couchant
Sous les ponts de Hué .
Le fleuve fuit .
Le silence est son cri .
La marchande pleure
Tête baissée .
Ayez pitié .
Elle parle d’enfants .
Ils attendent quelque part
Ils ont faim .
De quoi sera fait demain ?
Ayez pitié .
Dans la nuit les enfants appellent .
Derrière les murs des tortues le vent répond .
Les cerfs-volants s’en vont au-dessus des prés
Au-dessus des ponts
Dessinés par les nuages
Sur le papier du songe
Où Ophélie est liberté .
L’aigle de s lointains
Chasseur de tortues
Fait face au vent .
Rencontrera-t-il le matin ?
La marchande de souvenirs ne peut dormir .
Ayez pitié .
Sur le pont de la Cité Interdite
Le désarroi
Esseulé
Crie son désespoir .
Ayez pitié .

Mai 1997