Ma parole

Au bout du jour
Où la lumière est encore indécise
Entre songe et… mensonge
Enceint de ma parole
J’ai traversé la voie ferrée
Lèvre aride
Sans soupir
Avide de rosée.
L’odeur
Acre
De son herbe rouillée
Me poursuit encore
Quelque part
Dans la mémoire
Si naïve
De mon corps.
Mais j’ai hâte
Je cours
Les douleurs approchent
La parole tressaille dans mon désir.
Je suis passé
Tard dans la nuit
Près du jardin
Désenchanté
De l’habitude
Enclos si calme
Perdu
Dans son haleine de fleurs incolores
Sans sèves
Inodores.
J’en sens encore le vide
Quelque part
Dans la mémoire
Si inquiète
De mon corps.
Mais… j’ai hâte
Je deviens course éperdue
Je suis feu
Attente.
Je dévale les talus
Les pentes du silence.
Déjà coulent dans mon sang les joies-douleurs
L’âme du coeur qui s’ouvre
Les eaux des délivrances.
A l’orée du matin
Où la lumière est transparence
Décidée pour l’amour,
Sous la serpe d’or d’une lune toute neuve
Accrochée aux branches des rouvres
– Ce bois n’était-il pas NÔTRE autrefois –
Mûr d’espérances
D’herbes folles
de sèves en mouvement
Hanté de printemps à venir
J’ai enfanté ma parole
Celle que je veux donner
Que l’on voudrait
Que l’on veut
Que l’on cherche
Que personne ne sait garder.
Elle est amour
Voyage
Ailleurs non tracé
Aurait-on peur de son aventure
Inconnue
Sans fin
Porte ouverte au risque
Aux surprises
Fenêtre fermée à l’ennui
A l’habitude des jours sans orages ?
Me serais-je toujours trompé de plaine
De saison
Même du sourire d’un champ de blé
De naufrage ?
Pourtant
J’entends encore son cri
De vie
Eros
A-thanatos
Qui remplit
Toujours
Quelque part
L’infini blessé
Sans amers
Sans ports
Mémoire
Si temps
Si mer
De mon corps.
Elle est à toi
Si tu la veux
Enfant des transhumances des orages
Toi qui émerges des lointains
Chargé de foudres
De blés mûrs
Et que j’attends
Depuis toujours
Sur le vide de mon rivage.
N’aie aucune crainte
Elle est sûre
Sans détours
Libre
Et… peut être nôtre.
Elle n’a jamais appris à sauter
Danser
D’une rive à l’autre
Et ne reviendra jamais
Sinon refusée
A la rive ou je l’ai si longtemps portée.
Pour toi je l’ai langée de vent
D’ailes d’oiseaux
Qui connaissent les arbres
Secrets
Aux fruits de plaisir
Où s’endort
Apaisé
Le désir.
Pour toi je l’ai nourrie de mon sang
De l’amour en devenir
Et son nom est soif
Départ sans retour
Saut dans l’inconnu
Sans mots inutiles
Sans parcours.
Elle viendra habiter en toi
Et… grandira
Et… son corps sera le nôtre.
Son sourire
Son regard
Ses caresses
Fleuriront dans nos mains
Dans nos yeux
Sur nos lèvres.
Conduis-la dans ta chambre
Pour toi elle se dévêtira
S’ouvrira
Tu connaîtra tous ses sens
Les chemins secrets de son âme.
Mais n’oublie pas de laisser la fenêtre ouverte.
Ses essaims nouveaux
S’en iront au printemps de nos ruches
Vers les arbres du songe
Où elle pourra attendre
A jamais
Avec nous
Avec les enfants du monde
La réponse
Ultime
Du voyage.

Toi
Vous
Si l’entendez
Courez vite sous les arbres.

Octobre 1992