N’aie pas peur du printemps

à Abdelbaki de Moularès

Debout
Les mains tendues
Ouvertes
Devant ton désert
Tous les déserts du monde
Devant le vide
Si orgueilleux de son vide
J’attends l’infini des plénitudes.
Ne me demandez pas de m’asseoir
De fermer mes mains
De baisser les bras
De faire revenir
De sa course éperdue
Mon espoir.
Je n’ai pas peur du printemps.

Au bout du regard
Après le sable
Delà la dernière ligne du visible
Après ce soleil de métal
Oeil – méduse
Transparent
Immobile
Chauffé à blanc
Où erre paisible
Ce cheval espéré
Si libre
Entrevu
Perdu
Aveuglant
Je vois
Je sens
Soudain
Quelqu’un qui bouge
Qui vient
Vers moi
En mes songes
… Mais il est si vague
Si loin.
Vient-il à ma recherche
Ou d’un chemin effacé par le vent ?
Avec le désir du jour qui avance
Debout
Les mains tendues
Ouvertes
Je l’attends.
Je n’ai pas peur d’écouter le silence
Marcher
Voler
Sur les mirages
Les illusions mouvantes
Les soifs du sable.
Pourquoi ne serait-ce pas de mon âge ?
Je n’ai pas peur du printemps.

Dans l’oued aux attentes d’orages
Encore frais de pluies et tendresses
Où tombent chaque année les étoiles de l’hiver
J’ai planté les pêchers de mon enfance.
Leurs arbres se souviennent
Encore
De mes bras
Mes caresses
Mes étreintes
Ces nuits entre hivers et printemps
Où j’écoutais leur sève
Les gémissements
Implorants
De la délivrance.
Ils attendaient
Tremblants
Que la lumière du matin
Fleur et sourire
Naisse de leurs branches.
Ne viens pas geler leur désir
Arrêter leur espérance
Avec des dunes fanées
Transies de phosphate et d’asphalte
Avec des troupeaux engourdis
Gavés de lunes aveugles
Dévorées au bord de ces chemins
Si bien tracés
Où se meurt chaque instant qui avance.
Tu peux venir avec les doux renards des sables.
Fais attention
Ils sont craintifs.
Ils fuient les cages et les impasses.
Cette nuit je serai sous les pêchers.
Si tu viens nous nous vêtirons de leur attente.
Demain
Dans l’oued en fleur
Nous serons infini et plénitude.
Viens.
Je t’attends.
N’aie pas peur du printemps.

Novembre 1993