Partir

à Bernard

Près du souvenir la roue du temps est immobile.
L’absence est assise à l’ombre des attentes.
Les aubes et les midis n’ont plus de secrets pour l’habitude des saisons.
Les nuits gardent la même saveur de couchants fanés et de silence.
L’ami annonce toujours sa venue… sans jamais partir.
Son amour s’est perdu sur les rives aux aurores où l’étoile du désert creuse le chemin des solitudes.
Les blés et le soleil se colorent de lointains de paille, de pas inutiles et de sable.
Là-bas, derrière le regard du jour qui s’en va, où s’agenouille et prie l’infini des maïs et des luzernes, n’y a-t-il que le soir ?

Je veux partir.

Déjà le vent traverse l’immobile avec les oiseaux et les songes.
Ne regarde pas en arrière. Les confins du connu sont si pauvres.
Au premier tournant tout deviendra départ et… autre.
Les ailes éclamées retrouveront l’espace secret du désir. Le corps courra léger au﷓dessus de l’ombre.

Je veux partir.

Je pars.

Au bord du fleuve où se baigne l’espoir, le soir ne veut pas s’endormir. Les blés sont d’un vert plus intense et leur paille boit le sourire d’un soleil plus tendre.
L’ami remonte le courant à ma rencontre. Son nom
est présence et bonheur d’attendre.
Le désert brise les haies de l’incertitude. Je l’entends parler d’amour avec le silence.

Plus tard
Beaucoup plus tard
– Qu’importe le temps –
Quand je rentrerai
Sans nom
De partout
De nulle part
Je crèverai l’oil immobile
Qui m’a guetté
A chaque instant
Dans mon regard.
Alors il y aura sur moi
Sans regrets
Les pluies émues de la mémoire
Que peut connaître
Seulement
Celui qui part.

Août – Septembre 1994