Plaine, ma mère

    Plaine, ma mère, je ne sais si je reviendrai te voir.
    Avant de te quitter, tu as mis une pie sur mon épaule et semé de soifs les chemins de mes songes.
    Au bout de l’aire, où séchaient tes saisons de maïs et de blé, que de soirs j’ai regardé le soleil tomber derrière les arbres et mon coeur courir le chercher.
    Delà les peupliers – ton masque, ma mère – j’ai trouvé quelques promesses, un sourire sans lèvres, des champs brûlés et… d’autres arbres… et encore des arbres, des talus aux regards brisés, un pont sur l’infini, des hivers si longs à traverser, avec ces bandes d’oiseaux noirs qui ne savent jamais où se poser dans le soir.
    Au carrefour des étangs, où l’espoir tourne en rond, les yeux bandés, sans le savoir, j’ai saisi la main d’un passant et l’ai suivi dans sa vallée sur le sentier des libertés du vent.
    Près de sa solitude j’ai contemplé les matins airer dans les châtaigniers et les pins et la rosée des hautes herbes chanter avec les faux dans nos mains.
    J’ai cru sans fin nos silences si doux du soir, quand nous regardions ensemble le soleil tomber derrière Château-Noir.
    Je n’avais pas remarqué, au pied des chênes verts, le jardin bien labouré, déjà prêt pour l’hiver. Et alors qu’il a neigé – quel froid, ma mère – ce n’était pas la neige des amandiers.
    Je me souviendrai combien la route a été longue.
    J’ai imploré l’infini. Ta nuit a été sourde.
    Le jour, je me disais, se fait toujours plus court pour courir après les songes.
    Personne n’était là pour me donner la main, quand j’ai senti son odeur de rivages fanés venir à ma rencontre, avec ses goélands blessés, ses ports immobiles, ses voiliers. C’était la mer, la plaine sans arbres, l’autre, si amère après t’avoir connue, toi, ma plaine, ma mère.
    Sur le quai du désir, ce soir je regarde le soleil tomber derrière les Maures et mon coeur courir le chercher delà les ports.

Décembre 1994