Il y avait pluie de faucons et lunes d’été

(SOUS LES PAUPIÈRES DU BOUDDHA À POLONNARUWA)

à Chantal Denivry

Il y avait pluie de faucons et lunes d’été
Sur l’arbre de Siddharta
Au vert immobile
Aux nuits sans rosée.
Le vent était absent.
J’ai demandé au jour de laisser sa porte ouverte.
Vieilli
Vêtu de safran
Il était en prière
Devant la Dormition
Qui… veillait
Hors du désir avec le temps.
Sur les lèvres de l’Eveillé
S’endormaient la caresse du soir
Les syllabes du silence
Le sourire d’un enfant.
Sa bure
Ses pieds joints
Couleur de poussière
Couraient-ils encore sur le chemin de l’Instant?
Rien n’est permanent.
Peut-être la beauté
L’enfance
Ces ponts où l’on traverse le fini
Le temps?

Avec les rizières déjà mûres
Et le chant des moissons
Qui s’élève
S’étire
Delà le couchant
Avec le bétail assoupi
Qui compte les heures
Jusqu’au soir
Sous les banians
Avec les frissons du désir
Envol de collines
De hérons blancs
J’ai traversé la douceur du visage
Et pénétré sous les paupières du Dormant.
Tout était silence
Regard sur soi
Plénitude de vide
Vide de plénitude
Immanence du Néant
Nirvana sans l’autre
Etendue sans vie
Sans mort
Qui ne connaît plus le plaisir
Ni les chemins du tourment
Où le bonheur d’aimer
N’est plus aimé
Même pas un instant.

Je me suis assis dans ses pupilles
Et j’en ai fait les pâturages du vent
Du désir qui court
Et… attend.
J’ai brisé les remblais des lacs antiques
Et les sceaux du Néant.
L’orage a refleuri sur les eaux du voyage
Avec les voiles de l’inconnu
Et les cris des cormorans.
Il s’en est allé vers ces lointains remplis de songes
Où l’amour est appel
Et le désir réponse.
J’ai remonté les éclairs
Et suivi les nuages
A la recherche des saisons
Prisonnières des sérénités immobiles
A la douceur sans surprises
Où le jour se meurt
Sans un souffle de vent
Toujours à la même heure.
J’ai franchi la pierre de lune
Le seuil de la sagesse inutile
La porte du Vide
Et me suis mis à courir dans les rizières
Où le plaisir plantait des lingas
Des temples bleus sur les collines
Radeaux de l’amour
Pour le soleil en prière.
Avec le vent j’ai suspendu aux arbres le nouveau printemps
Fruit mûr d’oiseaux
D’épices
Et dagobas blancs
Toujours enceints de l’île Resplendissante
Qui n’en finit pas de crier son désir
Et jaillir de l’océan.

Sur le fleuve du temps
Je serai le passeur de l’amour.
Sur l’autre rive
J’en suis sûr
Il y a quelqu’un qui m’attend.

Mai-juin 1996