L’arbre aux drapeaux

Dans un champ de maïs
Labouré par l’été
Une cavale de trait
Une charrue renversée,
Un chariot de cambarles
Deux boeufs aux longues cornes
Eventrés.
Les cris de la peur
Les larmes de mon père
Sous les saules du fossé.

Corbeaux et vautours
Aux yeux de nuit sans lune
Pondaient en plein jour
Des ouefs de métal
Dans les chaumes brûlés.
Les nids étaient profonds
Les petits affamés
Devant la cavale
Les boeufs et la peur
Eventrés.

Au loin
Sur l’arbre aux drapeaux
Le vent noir
Aux ailes de basalte
De suie et de cendres
Hisse la honte très haut.
Pourquoi cet arbre n’a-t-il pas d’oiseaux?
Je ne veux pas le regarder
Porter ma main à mon front
Il y a trop de loups à ses pieds.

L’arc-en-ciel s’est enfui
La paix dans ses bras
Poursuivi par le vent
Le vent du regard faux
Qui voudrait ses couleurs
Pour tisser ses drapeaux
A son arbre mort
Son arbre leurre.
Sous ses branches
Il n’y a plus d’herbe
Les nuits n’ont plus d’amour
Et les galaxies ne parlent plus aux lucioles
Ni aux mûriers dans les luzernes.

L’arc-en-ciel serait-il blessé ?
Les hyènes rient autour de l’arbre
Affamées.
Où est passée la liberté
Nue de drapeaux
Au corps sans frontière
Sans passé ?
Sa peau n’a pas de mémoire
D’idées en marbre dans les jardins
Et son dos n’est pas courbé.

L’arbre aux drapeaux
Arbre aux pendus
Arbre aux loups
Arbre aux sots
Est au bord d’un fleuve
Le fleuve qui ne va nulle part
Fleuve-marais
Fleuve mort
Qui charrie la douleur inutile
Le silence des oiseaux
Les médailles des illusions
Rouillées
Les mots vides
Les espoirs trompés
Les enfants perdus
Jouets cassés.
Les loups et les hyènes
L’ont toujours caché
Sous un faux champ de blé
Ravivé de coquelicots
Pour qu’il soit doux de mourir
… Pour un drapeau.

Je ne veux plus entendre crier la peur
Rire les hyènes
Tinter les médailles rouillées
Dans un champ de maïs
Le long du passé.
Assis près du départ
Ailleurs sans amers
Près des soirs et des matins
Où la pluie viendra pour la soif et le désir
J’écoute les fleuves devenir mer
Et rire l’amour des chemins inconnus
Où voyagent
Insouciants et libres
Les mots et les marées de toujours
L’infini des instants imprévus
La caresse des arbres habités par le vent
Rendez-vous des oiseaux
Des visions d’enfants
Les mains tendues aux arcs-en-ciel
Au mystère des nuages
Aux lointains des cerfs-volants.

Je ne serai jamais le poète d’un drapeau
D’une frontière
D’un horizon fini
D’un jour qui s’arrête au soir.
De l’autre côté du miroir
L’amour m’attend.
Est-ce l’infini?

Novembre-décembre 1996