Tu es parti le dernier

à Biagio

 

La nuit n’arrive pas à dormir. Ses lèvres s’ouvrent aux salives vertes des foins d’été. Ils ont la nostalgie des herbes libres semées par le vent delà l’équilibre des champs cultivés. Seront-ils les derniers?
A Figuier Blanc tu as moissonné ton champ de blé. Sera-t-il le dernier?
Tu le battras demain.
Tu m’as invité.
Serai-je le dernier?
La lune enceinte de lucioles attend son heure derrière le silence des aspics qui veillent sur le sentier. Les lézards et les libellules bleus s’enivrent de rosée. Seront-ils les derniers?
Dans la grange où le souvenir et l’oubli dorment enlacés, la batteuse à blé attend le matin et la main qui la fera chanter, elle sortira sur tes épaules à la rencontre du blé. Sera-t-il le dernier?
Elle connaît depuis longtemps tous les espoirs, tous les champs, toutes les épaules, tous les sentiers de la vallée. Seront-ils les derniers?

A Figuier Blanc les herbes libres ont envahi la cour et le sentier.
La batteuse à blé s’en est allée. On a perdu sa trace, sa mélopée.
Tu es parti le dernier.
Derrière toi il y a seulement la paille et les chaumes du passé.
Sur les rives du torrent, le long de la Vallée, les moulins ne caressent plus l’eau ni le blé.

Juillet 1996