Jeux en liberté fragile

à Judith et Sarah

 

Imperceptible gémissement de la banquise.
Un ours
Joue
Avec l’aile d’un goéland.
Gémissement liseré de solitude
Au bout du cobalt.
La liberté du nuage
A perdu ses ailes
Dans le vent.

 

 

Ma cage est vaste.
J’ai perdu le chemin de sa porte.
Le temps
Joue
Avec la clé de mon âme.
Il court
Il ment
Il est joyeux
Sur le fil de l’instant.

 

 

Les dauphins
Aperçus
Un soir
Dans le port de Cochin
Jouent
Rient
Ensemble
Avec les aventures
Endormies
Au fond des bateaux sans voile
Et font l’amour à la vague
Qui avance
Haute
Poussée par le large
Libre promesse
Signée par l’océan.

 

 

Sur la lande
Trempée
De l’été
Le printemps
N’a pas cessé
De jouer
Avec les feuilles des trembles
Celles que rien ne peut arrêter.
Peut-être l’automne.
Même l’hiver
Joue avec elles sur le sentier.
Il y a des plumes dans les haies.
Quel oiseau s’y est posé ?
Elles ont les tons
Encore chauds
De libertés oubliées.
Les nids
Cachés
Sont pleins de lune
De sérénité.
La nuit a ramassé des ailes
Aux senteurs d’églantier
Des pas en voyage
Pour les yeux qui ne veulent pas se fermer.

 

 

Berges de la voie lactée
Terrain vague de la nuit.
Genets en fleur
Antiphonaire des clartés
Des pluies.
Un aigle
Des poissons
Jouent
Avec une étoile de mer
Tombée
Du haut des regrets
Anniversaires aux bougies éteintes
Sur tant d’herbe d’étoiles
Mal semées.

 

 

Foule de moines à l’embarcadère.
Ils attendent.
Le soleil
Aveugle
Déteint leurs robes
Ses collines.
L’Irrawady
N’a rien à attendre.
Il s’est assoupi au milieu de ses bancs de sable.
Les pagodes
Or-brique-blanches
Jouent
Avec sa lumière sur la rive.
Un moine
Immobile
Une ombrelle
Laquée
Seuls dans le sable.
Regard profond
Insistant
Jeu de nos yeux
En passant.
Plus loin
Près d’un tamarinier
J’ai voulu qu’il se retourne.
Il s’est retourné.
L’ombrelle n’a pas bougé.
Jeu d’adieu
Intense
Le dernier.

 

 

Elle
Ne sait pas marcher.
Ses pieds
Ne pense qu’à courir.
Sur la mer
Les bateaux courent avec ses désirs.
Elle
Joue avec Bébélune
Un chien
Aux grands yeux de lune.
Elle
A un grand jardin
Bébélune y court pour elle.
Il joue
Avec les pies et les écureuils
Et aboie
Près du cyprès
A tous les jours qui passent
Derrière la grille
Où courent avec l’été
Tous les pas
Qu’elle a déjà rêvés.

 

 

Une tête de buffle
Un ruban d’or
Deux yeux lacs nocturnes.
Dans la chapelle aux bénédictions
La bufflesse Bago au cœur tendre
Tend ses mains avec des carpes.
Le souvenir
Joue
Avec l’oubli.
L’oubli n’a pas oublié.
Dans les marais de la bufflesse
Ses pâturages
Le prince enfui du palais
Se nourrit à son pis.
Mais où sont-ils passés les étangs
Herbe d’enfants
Nénuphars roses
Lotus blancs
Où elle s’ébattait
S’ébrouait
Allaitait
Généreuse
L’enfant de la tragédie ?
Il reviendrait
Un soir de grande espérance
De victoire
D’allégresse
La tuer
Jouer avec sa tête
Pour ravoir son trône
Epouser la princesse.
Une tête de buffle
Un ruban d’or
Deux yeux lacs nocturnes.
Les joueurs
Bénits
Protégés
Misent sur la bufflesse.

 

 

Dans mes yeux
Il y a l’océan
Et le bateau pour s’en aller.
Je traverserai les miroirs des matins de givre
Et je suivrai les trappeurs de lune
Jusqu’aux jeux des solitudes
Où les étoiles
Se rapprochent
S’embrassent
Se serrent en galaxies.
Elles ont si froid
Dans le vide.

 

 

Un nuage
Ce soir
S’allume
Dans le pin.
Il joue
Avec le vin
Versé pour les amis.
Ils ne tarderont pas à arriver.
Tu les attends.
Même les oiseaux
Migrés au printemps
Reviendront jouer des chants nouveaux.
Mais hâte-toi de verser ton vin.
Il risque de se faire vinaigre
Si tu l’as soutiré à la saison des larmes.

 

 

Le siècle a pris le chemin du soir
Le millénaire est dans ses mains
Ils n’arriveront plus à l’aube.
Vacarme de mots inutiles
D’illusions sans lendemain
De plein rempli de vide.
Le 1 joue avec le 2 en attendant le 3.
Le 1 a trois neuf
Le 2 trois zéros
Trois dominos vides
Dominos blancs.
Avec le 1 mâle et le 2 femelle
Pythagore à quoi jouait-il ?
A la primauté de l’un et à l’infériorité de l’autre ?
Pour ceux qui naissent et qui meurent
Qui crient leur faim ou leur douleur
Ces nombres
Qui durent des siècles ou des millénaires
Que peuvent-ils ajouter
Diminuer
A l’existence
Au bonheur ?
A quand un nombre d’espoir
Un nombre d’amour
Un nombre
Où être deux est l’important
Un nombre delà les nombres
Delà le mâle et la femelle
Delà le plein et le vide
Delà… où tout devient indifférent ?
Dieu est-il 1 ou 2 ?
Tout ou rien ?
Dans le tout et le rien
Il y a de l’infini.
Alors pourquoi n’être pas heureux
D’être rien dans le tout
D’être ni 1 ni 2
Et tout dans le rien ?

 

 

Assis dans une barque
Destinée au naufrage
Ma main
Avec tendresse
Joue
Avec la lune dans l’eau.
Liberté fragile
Elle se brise
A chaque caresse.

 

Juillet – Août – Septembre 2000