Mains

à tous les déracinés

Mains tendues
Bouleversées
Mains inconnues
Mains transies
Mains nues
Meurtries
Exilées aux frontières non voulues
Jetées sur les routes
Mains errantes
Boueuses
Mains vivantes
Qui avez faim
Soif
Mains épuisées
Fatiguées de se tendre
Mains de neige
Aux miroirs aveugles
Aux soleils éteints
Aux lunes coupées
Aux haies franchies
Fuyantes
Sans amers
Mains vides
Qui cachez le regard
Les yeux éperdus
Les larmes
Les sourires battus
Mains qui avez peur
Peur de vous tendre
Peur de la peur
Peur qui crie dans vos veines
Qui bat dans vos doigts
Peur qui explose
Mains en fleur
Mains fanées
Mains-enfants
Qui s’enfuient dans les champs de cambarles
Mains de l’être et du temps
Mains d’arbres coupés
Déracinés
Mains de chênes et alisiers blancs
Mains de l’hiver
Des feuilles qui se perdent dans le vent
Du haut de ma paix
Je voudrais vous crier
Je suis là
Je viens
Mais je vous regarde avec honte
Honte de moi
De mon soleil sur la mer
De mes projets de voyages
Voyages libres
Aux frontières choisies
Sur des routes et ponts paisibles
Honte des boulevards aux arbres bien taillés
Où l’on s’assoit
Avec insouciance
A attendre le soir
Remplis d’angélus
bien chrétiens
Aux notes sereines
D’une bonne conscience.
Mains des tendresses perdues
Mains mutilées
Mains amies
Mains de mes nuits blanches
Je voudrais briser ma paix qui sépare
Tendre mes mains à vos mains tendues
Etre avec vous
Mêler mes larmes
Mes cris
Ma révolte
Déchiqueter l’habitude des sourires
Des promesses
D’une vie sans orages
Repue d’inutile
Et vomir
Enfin
Le sang qui remonte dans ma gorge
Le sang des brebis égorgées par les loups des montagnes
Assoiffés de croix-lunes-étoiles
Aux gueules masquées d’étendards
Tissus de haine
De charognards
Présents à toute heure
Et qui ont faim à la tombée de la nuit
Autour des bivouacs des bonnes intentions
Où les hyènes et les chacals
Ont la sale besogne
D’être les éboueurs de la mort
Des horreurs
Du MAL.

Au loin s’en vont les nuages
Mains courbées sous le vent.
La neige
Ecume de la terre
Fond dans les vergers.
Mes mains sont dans vos mains.
L’hiver n’est pas encore passé.
Rien n’est jamais fini
Nulle part.
Demain il va neiger.

Avril 1999