Poètes de passage

PÊCHEURS

Il y a foule de pêcheurs sur la rive .
Pêcheurs de poésie .
Pêcheurs à la ligne .
Autour du lac ils attendent un signe .
Le soleil
Au soir
Plonge dans les eaux
Et en sort nouvelle lune
Se sécher sur la rive .

Les pêcheurs n’ont rien vu
Les hameçons sont vides .

VAUTOURS

Il y a foule de vautours sur l’arbre à poésie .
Ils parlent
Palabrent .
Mots inutiles .
Ils attendent
Affamés
Les poètes de passage .
Ils en vivent .
Corbeaux rossignols chouettes
Pies loriots alouettes
Chants éclairs exil plumes sang
Les vautours tuent dévorent dépècent .
Tout est bon pour leurs griffes leurs becs .

Sous l’arbre à poésie
Puantes
Liquides
Se répandent
Les fientes
Banales verbales acides .

REVENDEURS

Il y a foule de revendeurs sous les ponts
Sur les quais du fleuve
Aux sanglots de violons sans cordes
Aux archets muets d’horizons .
Ferraille de poésie
Brocante de pièces détachées
Volées à la casse
Cachée
Où l’on vend ceux qui s’aiment
Ceux qui courent après les essaims essaimés
Ceux qui sont poèmes
Et ceux qui sèment la voix du vent sur les blés .
Caresses rouillées
Instants morts de solitude
Etoiles brisées
Miroirs intacts d’habitudes
Tessons de vent
De jours vides
Cornes de taureaux exsangues
Cigales cassées
Essorages de machines à laver
Eventrées
Lavoirs mécaniques d’amour et de sexe
Sans désir
Sans pitié
Pour les ornières
Si profondes
Des imbéciles
Aux sourires satisfaits
D’un banal couronné de lauriers
Mêlé aux soupirs de gens qui meurent
Etonnés
Sans savoir pourquoi ils ont vécu
Ni pourquoi ils vont mourir
Devant les bâillements
Interminables
De télés trop fatiguées .
Sur les toits
Dans les bois des antennes
Les chats regardent-ils la télé ?
Le silence les entend pleurer
Sur le soleil
Tombé .

Sur les quais des fleuves du monde
L’eau devient et s’en va
Avec les silences sans réponse .
Les revendeurs ne la voient pas .
Dans leur ferraille il n’y a pas de songes .

SaltIMBANQUES

Il y a foules de saltimbanques
Sur la place de la poésie .
Il y a foule d’étoiles filantes
Sur les gradins de la nuit .
Elles attendent le spectacle .
Mais les acrobates n’ont pas de trapèzes
Les jongleurs ont perdu leurs cerceaux
Et la corde des funambules
Est au ras de l’herbe .
Ils ont cassé l’infini .
Les clowns n’arrivent même plus à faire rire .
Les étoiles s’en vont avec la nuit .

Sur la corde
Souple
Des mots
Funambule de l’invisible
La pleine lune
Caresse d’équilibre
Traverse les tendresses perdues .
Sur la place de la poésie
Les saltimbanques n’ont rien vu .

Novembre-Dècembre 1997