Regarder le vent (La lettre et l’esprit)

Sur la corde
Parfois si longue
Si courte
Parfois si lâche
Si raide
Sur la corde du temps
Tendue si haut
Si loin
Au-dessus de la vie
Je regarde le vent
Mouvoir
Soudain
Tant de lampes
Allumées d’un espoir
Sur la colline
Immuable
Parée de verts
Mobiles
D’oliviers
D’aliziers blancs
Sourires de feuilles
Feuilles de regards
Bruis de lumière
Oubliés par le temps
Sur sa corde
Mue par le vent
Malgré la saison
Si sèche
Si froide
De l’arbre adulte
cour fermé
Fils de la nuit
Qui tue l’horizon
Lapide l’infini…

Sur la corde du temps
Au-dessus des sentiers
Qui se voudraient uniques
Je regarde
Ému
Le vent
Combler les ornières
creusées par les roues
Implacables
Des chars si lourds
Les chars du temple
où l’amour
mutilé
Dans le corps de la vie
Est réduit aux larmes
pluies mortes
Sang de l’arbre
Fils de la nuit
Qui tue l’horizon
Lapide l’infini…

Sur la corde du temps
Tout en haut De la vie
Je regarde le vent
Dérailler l’habitude
Les jours sans départs
Enfermés dans le cercle
Aveugle
Trop rond
Poli par la mort
De ces regards
Ces émotions
Circonscrits
A jamais
Dans le temps
Où je regarde
En mon âme
Ouverte
Le vent
S’en aller
Avec les oiseaux de passage
Libre de partir
Revenir
A tout instant
Ignorant les portes
Les murs
Toujours vivant
Qui invente la vie
Delà toutes lettres
Lèvres closes
Feuilles mortes
Gales de l’arbre
Fils de la nuit
Qui tue l’horizon
Lapide l’infini…

Sur la corde du temps
Au-dessus des clameurs
De tous les possibles
Je regarde le vent
Monter
Sans bruit
Du désir
Descendre
De l’espoir
Tiède de songes
Désembuer les miroirs
Du froid des visages
Ridés de paroles
Images perdues
Coloriées de souvenirs
D’éphémère
Fleurir d’ailes
Sérénités transparentes
Les fenêtres ouvertes
Sur la cour des promesses
Voix du silence
Faire
Défaire
Avec la loi du nuage
Le ciel
Le désert
Les chemins de l’immense
Très tôt le matin
Après ces orages
Tombés de la vie
Aux pieds de cet arbre
Fils de la nuit
Qui tue l’horizon
Lapide l’infini…

Sur la corde du temps
Je regarde
Apaisé
Le vent
Parler
Discuter
En passant
Avec les blés
L’eau des étangs
Le sable mobile
Le visage de la plaine
Où s’inventent les couleurs
Les lointains mouvants
Pour les paupières ouvertes
Offertes
Au regard si dense
De l’instant
Inconnu
Inattendu
Jailli de l’insondable
A l’orée d’un couchant
D’un soir si clair
Si doux
Pour regarder le vent
Courir
Se reposer
Sur toi
Avec moi
Sur qui il veut
Sans préjugés
Mûr de vie
Delà les conseils
L’avis de tout le monde
Contre la lettre
Lierre du songe
Rejet de l’arbre
Fils de la nuit
Qui tue l’horizon
Lapide l’infini…

Sur la corde du temps
Au-dessus des passés
Des présents
J’ai le bonheur
De regarder le vent
Sourire
Pleurer
Rire aux larmes
Frais d’amour
De rosée
Même le midi
Des jours d’été
Imprévisible
Incontrôlable
Plaisir d’écume
Désir de vagues
Si fort de mers
Palpitant d’orages
Bras nus
Bras de silence
Qui déracinent sans fin
Au cour de l’immense
L’arbre sans vie
L’arbre mensonge
Fils de la nuit
Qui tue l’horizon
Lapide l’infini…

Octobre – novembre 1990