Revenir le soir

Revenir le soir
Au seuil du passé
Chercher dans la pénombre
Des saisons perdues
Des pensées qui doutent
La porte du sentier
Chemin du songe
Jamais parcouru
Caché dans les herbes
Si hautes
Si folles
Amies des orages,
Clairière écartée
Aux senteurs d’infini,
Delà les enclos
Champs labourés
Sans horizon
Vergers de l’utile
Plantés de raison
Où vivent les ombres
Si larves
Si pâles
Qui trient les désirs
Apprivoisent l’amour
Pour enter le plaisir
De branches élaguées
Sans étés
Sans cigales
Où chante le savoir
Du bien et du mal…

S’arrêter le soir
Au seuil du présent
Regarder en face
Sans regrets
Sans mirages
Le corps ému
De joies possibles,
Les ruches essaimées
Les roses qui fanent,
Pâleurs esseulées
Agonies fragiles,
Dans les mains tendues
Aux ombres étroites,
Foudres éteintes
Des horizons fermés
Des livres ouverts
Ennuités de maximes
Moisis de proverbes
Et… attendre
Attendre sous la pluie
Close
Interminable
D’hivers si vastes
Au bord des étangs
Vaisseaux immobiles
Ancrés dans le temps
Où hennit le désir
Prière inutile
Delà les marées,
Cri déchirant
Vite étouffé
Au milieu des roseaux
Qui enterrent le vent…

Repartir le soir
A l’orée du couchant
Avec les oiseaux
Qui passent
Très haut
Au-dessus de la nuit
Emportés par le vent
Loin des enclos
Loin des ombres
Si longues,
Loin des roseaux
Au?dessus des sillons
Ornières profondes
Vers la roseraie
Clairière de l’aube
Où s’éveille le songe
Enfant des orages
Des herbes hautes
Qui trace l’infini
Autour du désir
Autour des saisons
Avant de cueillir
Les roses tardives
Promesses d’un jour,
Ecume fragile
Des marées en dérive
Où se baigne l’amour…

Ouvrir la porte
Retrouvée
De l’horizon
Demeure du possible
Drupe du songe,
Où monte la foudre,
Epée de lumière,
Brûler le visible
Fendre la source
Des sous-bois de l’amour
Où paît le soleil
Les épis sauvages
Aux ailes de pourpre
Tièdes d’abeilles
Mûrs d’orages
Et.. courir
Nu du temps
Une ruche à la main
Plus vite que le vent
Après les oiseaux
Après les nuages…,
Enfin libre
Libre d’être,
Etre froment
Pour la faim du soleil,
Etre raisin
Pour la soif de l’orage
Pour la rose qui attend,
Etre voyage
Pour l’oiseau qui se berce
Sur le désir de la vague,
Etre caresse
Pour la main du désert
Qui mue le silence
En paroles de songes
En appels de tendresse,
Etre libre
Libre d’aimer
Plaine étendue
Par l’horizon des attentes
Qui tendre s’apaise
En pluie de rosées
Sur les soirs qui flambent,
Libre de me perdre
Arc-en-ciel tendu
Par l’arbre des foudres
Dans le flux et reflux
Des marées qui se cherchent
Sur les rives des blés
Pénombre de sources,
Libre de chercher
Libre de courir
Libre de voler
Après l’infini
Port de l’amour
Delà les libertés
Qu’impose le fini
La rose d’un jour

Juin 1988