Tu ne pourras plus être absent

à Abdelbaki de Moularès

Très haut
Au-dessus des mâts et des voiles
Les goélands attendent le départ.

Très haut
Au-dessus du couchant
Aux portes de Moularès
Le faucon a mon regard.
La vallée est seule.
Le silence se pétrit de lumière
Sur le sable
Nu d’ombre
Où s’en va l’amour
Le désir d’un bouquet de paroles
La joie de ta rencontre.

Sur la colline
Contre l’orage
Sorti des lèvres du désert
La coupole du marabout
Est-elle un pin parasol
Abri de présence
Oublié par un pèlerin
Exaucé dans son attente ?
Est-elle une petite rizière au printemps
Pour la prière de ma soif ?
Son vert t’appelle.
Il est main tendue à l’infini de l’instant.

À Moularès
Le phosphate est immense.
Ses collines
Ses rails
Ses mines
– Si cendre –
Couvrent les rues
Les âmes
Les désirs
Les tombes blanches.

Au seuil de ta porte
S’arrête
Le tendre chemin du possible
Qui sait remonter
Sans fin
L’inaccompli
Les regrets du silence

Ton visage est entré dans mon regard
Ta voix a jailli sur mes lèvres
Ton matin est lumineux sur mon corps
Et… tes mains ont franchi les frontières de l’être.
Tu ne pourras plus être absent
Désormais
Malgré les voiles
Les départs
Les ports.

Les narguilés
Bleus rouges et or
Chargés de désir
Palpitants de soleil
Attendent
À l’orée de l’ombre
De se muer en plaisir.

Etendus sur les nattes de ta cour
Enroulés dans la nuit
Si tiède
Si calme
Nous écoutons
Sous la pluie des étoiles filantes
Le rire des galaxies
Rythmé par l’amour
Tendresse de l’immense.

Le troupeau de chamelles blanches
Enceintes de lunes
S’endort aux fenêtres de nos songes.
Elles mettront bas cet hiver
Sur le drap mouvant
Si doux
Du vent
Qui veille
Depuis toujours
Derrière la haie
Du désert
Du temps.

Octobre 1993