Tu viendras ouvrir les fenêtres

à Judith

Les huppes
Ce matin
M’ont dit que les peupliers sont déjà verts.
Demain j’irai les saluer
M’incliner devant le printemps
Qui m’a fait signe
Depuis tant d’années
Hors du songe
Hors du temps.
L’Arno
Voilier chargé de brocarts et de couchants
S’en va les vendre chaque soir à la mer
Qui les étend
De ses mains de cobalt
Sur les promontoires
Trempés de ciel d’écume et d’amers.
Il est difficile de s’y perdre
Malgré les ponts de l’âme
Les chemins de l’indicible
Si heureux de se perdre
Quelque part
Où l’imprévu sinopie l’indessinable.
Qui trouvera la route des mots de là-bas
Les mots de ceux qui savent tout sans rien savoir ?
J’ai voulu acheter un couchant à la nuit
Aux couleurs de lointains
Pour m’habiller de lumière
Celle qui passe sous les ponts
Avec la robe blanche de l’enfant
Qui ne sait parler que par ses yeux
Sa transparence éperdue d’envol d’oiseaux
De couchants naufragés dans l’Arno.
L’eau parle à l’eau qui passe
Aux ponts qui courent
Aux solitudes sans nuages
Aux orages qui n’arrivent pas
Que le vent promet toujours
Malgré un soleil tombé en éclats.
Se perdre
Dans ce que l’on attend
Là-bas dans les arbres couleur d’automne
– ou est-ce de printemps ?
Il n’est pas facile d’entendre les couleurs.
Mais elles parlent.
Il n’est pas de saison dans ce que l’on attend
Pas d’espace
Pas de temps.
Les lointains sont trop loin.
Je les vois.
Comment les rencontrer ?
La couronne de la vie
Est sur le front de ceux qui doutent
Osent
Dérivent
Cherchent
Prient.
Le fleuve est glacé.
Les couchants se donnent des rendez-vous inutiles.
Au pied du lit les pantoufles puent le mépris de la liberté.
Tu viendras ouvrir les fenêtres.

Mars-avril 2002