Voyage d’attente

Après l’orage des soifs
Les tendresses qui explosent
Je t’ai vu passer
C’était au début de l’été
Avec ton ombre du soir
Si longue
Sur les rails
Sages
De ceux qui savent…
Parmi tes passagers il y avait tes songes
Et… ce désir de dérailler
Enfin
Quelque part
Du chemin
Trop sûr
Si droit
D’un bonheur prévu
Sans jouissances
Voulu pour toi
Par l’habitude
De ceux qui savent
Tout
Sur la nuit et ses prudences
Sans avoir jamais connu
La liberté des matins
L’imprudence du vent
Le plaisir de l’instant nu
L’aventure d’un autre chemin
Imprévu
Celui du désir
De l’amour
Delà les rails du temps.
Je t’ai vu partir
C’était avec notre été
Si jeune
Pour la transhumance des grives
Des alouettes
Des oiseaux de passage
Dans les vignes désertes de rencontres
Oxydées déjà par l’automne
Qui avance
De très loin
Avec mon attente
…Sans nous attendre.
Je m’en suis allé
Alors
Le sang encore chaud de tes promesses
Parler de toi au vent
Berger nomade
Des solitudes et des silences
Dans les chaumes infinis d’Anatolie
Là dans sa tente
Autour du Lac Salé
Où vont mourir toutes les larmes de l’absence
Et l’espace devient plénitude de temps à attendre.
Je l’ai vu s’arrêter
Parfois
Glaner quelques songes
Les enfances perdues
Les rencontres manquées
Et aider les tournesols
Qui à contre-jour avaient oublié de tourner.
Je l’ai suivi parmi les corbeaux
Les chèvres noires
Nuages de nuit
D’oracles
Pour le Dieu qui s’est tu
Depuis longtemps
Dans le temple de Didyme
Aux deux colonnes amies
Qui sont encore debout
Car elles ont appris à s’étreindre.
Il m’a fait entrer
Dans les caravansérails
Perdus dans la mémoire de l’immense
Avec les odeurs fortes de l’Orient
Au bivouac des certitudes
Soies trop fines
Pâles céladons
Promesses peut-être trop fragiles
Qui se cassent
Se déchirent
En étoiles filantes.
Ensemble nous avons fait escale
Parmi les peupliers
Ports des possibles retours
Et même sous l’arbre unique
Seul
Si grand
Être aimé
Au centre des brûlis sans fin
Noyés de couchant
Avant de me conduire vers les collines d’améthyste et de nacre
Y voir ton regard
Tes lèvres entrouvertes pour le premier sourire
Le premier baiser de la beauté
Encore tiède
Sans brumes
Dans le cercle magique du désir
Où surgit avec la pleine lune
La joie des corps qui se sont connus
Et… se souviennent.
Pour le plaisir des yeux
L’émotion des mains qui se serrent
J’ai erré avec lui
Sur les visages adolescents de Smyrne
Fenêtres ouvertes sur toi berger des grives
Et j’ai cheminé
Avec les anciens sages d’Éphèse
Pour que la beauté ait aussi une âme.
Nous nous sommes envolés
Sur un tapis d’Héréké
Chercher les fleurs des sept montagnes
Les fleurs aux parfums intenses des jardins perdus
Dont les souvenirs demeurent toujours au bord des années qui passent
Et dans la forêt de plaisance
Habitée d’oiseaux rares et de licornes
Nous avons bu les vins du désir
Pour que nos mains ne pleurent
Les caresses qu’elles ne peuvent donner
Sur le vide de l’absence.
Mais quand je suis revenu
Riche de visions et de chemins imprévus
J’ai revu ton ombre
Toujours si longue
Le soir
Avec ses passagers
Sur les rails
Si sages
Où tu n’as su dérailler
Car ils sont toujours sur le qui-vive
Aux aguets
…Ceux qui savent…

Août 1992